POUR VOUS LA GUÉRISON, CE SERAIT QUOI ?

Cette question, j’ai appris à la poser dès mes premières années d’internat : « Pour vous, guérir ce serait quoi ? »

Cette question un médecin se doit de la poser lors de la prise en charge d’un patient atteint d’une pathologie chronique et même d’une pathologie grave.

En une simple question je rentre dans l’intimité du malade, dans ses pulsions de vie, dans ses fantasmes, même si souvent il m’est totalement impossible d’exaucer les demandes du patient.

Pour l’hépatite C, la question est fondamentale, car si pour le médecin la guérison se résume à la disparition du virus sur les analyses sanguines, qu’en est-il pour le patient ?

Dans mon parcours d’étudiant, j’ai accompagné des personnes avant et après une greffe de rein. L’insuffisance rénale contrairement à celle du foie, du cœur ou des poumons n’est pas mortelle, on peut vivre en étant dialysé, mais la qualité de vie s’en trouve largement impactée. L’accès au projet de greffe rénale est donc une forme de guérison, de nouvelle vie, de résurrection.

Un jour, j’ai rencontré un jeune homme de 24 ans qui était dialysé depuis 12 ans, il allait enfin être greffé et à ma question fatidique : « Pour vous la guérison, ce serait quoi ? » il m’a répondu « Je ne sais pas, car j’ai oublié ce qu’on peut faire quand on vit normalement… ». Il avait l’air triste, abattu et sans réel projet de vie.

Quelques mois plus tard, il fut greffé et j’ai eu la chance de le revoir 3 mois après.

Il m’interpella : « Je sais ce que c’est maintenant la guérison : c’est pouvoir se balader en forêt, ressentir une envie d’uriner et pisser au pied d’un arbre. Çà c’est un vrai bonheur de la vie que j’avais oublié ! ». Cette rencontre m’a marqué à plusieurs titres.

Premièrement, parce que la maladie a parfois pris une telle place qu’on imagine même plus la guérison, elle a été complètement rayée des possibilités et du conscient.

Deuxièmement, parce que souvent c’est dans les gestes simples de la vie que se trouvent les réponses à nos grandes questions existentielles de gens en bonne santé.

Je pense que tout malade doit se demander ce qu’il fera de sa guérison et le formuler à l’équipe soignante si on ne lui demande pas.

En tout cas moi je pense toujours à cette histoire à chaque fois que je me balade en forêt.

Pascal Mélin