LA GUÉRISON N’ÉTAIT PAS LÀ OÙ ON L’ATTENDAIT

Il y a quelques années j’ai reçu en consultation Andrée, une vieille dame de 77 ans porteuse d’une hépatite C chronique active. Transfusée 25 ans auparavant Andrée semblait surtout paniquée à l’idée d’être porteuse d’un virus. Rapidement nous avons réalisé le bilan de lésions, une biopsie hépatique a été faite et la réponse est tombée : la vieille dame était atteinte d’une cirrhose !

À la consultation suivante Andrée s’effondre en larmes, jurant ses grands dieux qu’il était impossible qu’elle ait une cirrhose puisqu’elle n’avait jamais bu ! Lentement avec patience je lui explique que les cirrhoses ne sont pas synonyme d’alcool, qu’il existe d’autres étiologies dont certains virus.

Rassurée elle dit vouloir absolument se traiter pour guérir « puisque cela est possible ». Après avoir effectué le bilan pré thérapeutique, je l’oriente donc vers l’infirmière d’éducation thérapeutique et le traitement est débuté. Au bout de deux mois le virus est indétectable mais la tolérance est médiocre : Andrée maigrit et le traitement donne l’impression d’accélérer son vieillissement. Comme elle reste combative, le traitement est poursuivi car Andrée semble très motivée pour guérir absolument.  De mois en mois, de consultations en consultations je la vois néanmoins dépérir mais je me rassure en lui disant que la fin du traitement est proche. Devant son courage, j’ose a peine entacher son optimisme en lui rappelant que l’on n’est pas sûr d’avoir gagné la partie et que dans certains cas, en fin de traitement, il arrive que le virus réapparaisse. Mais j’espère avec elle.
Andrée est finalement arrivée à la fin de son traitement et nous attendons ensemble le cap des 6 mois, date fatidique où l’on ose enfin parler de guérison si le virus n’est toujours pas réapparu. Hélas, au bout de 3 mois seulement, le virus de l’hépatite C s’invite de nouveau dans le corps d’Andrée et la vieille dame s’effondre, en pleurs devant cette rechute. Impuissant devant son désarroi, je lui propose alors de différer toutes décisions et de refaire le point lors d’une prochaine consultation. Le mois suivant je la retrouve triste, découragée. Alors je lui pose la question que j’aurai probablement dû poser avant de débuter ce traitement : « Pourquoi voulez vous guérir ? » 
 
Et sa réponse tombe, cinglante, désarçonnant toutes mes certitudes médicales : « J’ai deux petits fils et ma belle fille ne me les laisse plus en vacances depuis que le diagnostic est tombé car elle a peur que je les contamine en les embrassant. Et il y a même pire que cela : ils ne viennent plus me voir, mon fils vient seul désormais… »
Alors j’imagine pour Andrée « une autre option thérapeutique » et lui explique que si c’est là la raison pour laquelle cette hépatite lui « fait si mal », je peux rencontrer sa belle-fille et son fils avec son autorisation.
Dix jours plus tard j’accueille donc entre deux consultations le fils et la belle fille pour tenter de les rassurer en leur expliquant longuement les modes de contamination de l’hépatite C.
Lorsque nous nous quittons, alors qu’ils expriment et reconnaissent leur maladresse vis-à-vis d’Andrée, il me semble avoir été entendu mais reste néanmoins curieux de connaitre l’impact de notre entrevue sur les relations d’Andrée avec ses petits enfants.
Quelques mois plus tard Andrée est revenue, toute souriante en m’annonçant la chose suivante avec ces mots là: « Docteur je suis guéris de mon hépatite, elle ne me fait plus mal ! » 
Depuis nous nous voyons 2 fois par an pour le suivi de sa cirrhose. Quant à moi j’ai appris, grâce à Andrée que la guérison n’avait pas la même place et le même sens pour le médecin que pour le malade.
Depuis je pose toujours deux questions aux patients avant d’envisager un traitement: « Que ferez-vous lorsque vous serez guéri ?» et « Êtes-vous prêt à ne pas guérir ? »
La médecine ne devient-elle pas riche de sens quand elle laisse grande la porte ouverte aux échanges transformant ainsi nos consultations en de véritables rencontres humaines ?

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